1.2. L’architecture de loisirs
Sa passion pour la montagne et son attrait pour la pratique sportive en général, ainsi que son engagement politique conduisent tout naturellement Charlotte Perriand à s’intéresser à l’architecture des loisirs. L’atmosphère progressiste des années 30 et l’obtention des congés payés en 1936, donne accès à la villégiature à des millions de français. Ces pratiques émergentes sont une source d’inspiration pour les architectes. Les premiers projets de Charlotte Perriand, que ce soit pour la «maison de week-end» ou pour le refuge «Bivouac», utilisent une architecture légère et préfabriquée, liant espace intérieur et espace extérieur, et respect des courbes de niveaux, qui deviendront des éléments notable de son architecture. Elle aménage aussi une annexe de l’hôtel «Crêt des Neiges» à Saint-Nicolas-de-Véroce, où elle a ses habitudes.
Cependant, ce n’est qu’à son retour d’Asie, après-guerre, que Charlotte Perriand participe avec Peter Lindsay à la naissance d’une station de ski, Méribel-les-Allues. Elle y aménage hôtels et chalets d’habitation en respectant l’architecture vernaculaire des chalets savoyards. Les aménagements intérieurs sont fonctionnels et sobres, mais chaleureux. Charlotte Perriand reprend ce modèle lorsqu’elle construit son propre chalet à Méribel en 1961.
L’année suivante, elle participe au concours pour le développement de la vallée des Bellevilles et imagine, pour le futur complexe des Ménuires, une station intégrée sans voitures. Ce projet fait la synthèse de tout ce que Charlotte Perriand a développé depuis trente ans en matière d’urbanisme et d’architecture de loisirs, il ne verra malheureusement pas le jour. Néanmoins ce projet et son engagement notoire pour des espaces de loisirs mieux intégrés et respectueux de l’environnement, conduisent André Bloc, fondateur de la revue l’Architecture d’Aujourd’hui à confier à Charlotte Perriand, un numéro spécial sur l’architecture en montagne. Dans un article intitulé «Prendre conscience de nos responsabilités»[1], elle débute par une déclaration d’amour à la montagne et expose son souci de maintenir la montagne vivante et de ne pas la dénaturer – comme l’a été la Côte d’Azur. Les solutions qu’elle propose sont le recours à une architecture intégrée et l’abandon de la voiture. C’est cette vision de ce que devait être les stations de ski qui a séduit Roger Godino, promoteur des Arcs.
1.3 Roger Godino et le projet des Arcs
La Vallée des Arcs est déjà un lieu de pratique du ski de descente quand Robert Blanc, la fait découvrir à son ami Roger Godino. Ce dernier, polytechnicien et habitué des projets d’ampleur – il a notamment participé à la création de l’Institut européen d’administration des affaires (L’INSEAD) – est séduit par le site. L’opportunité d’implanter une station sur le site est d’autant plus intéressante qu’à l’époque le dynamisme économique de la vallée de Bourg-Saint-Maurice est au ralenti depuis la fin du chantier du barrage de Tignes.
Roger Godino fait appel au groupe d’architectes de Chambéry : Atelier d’Architecture en Montagne, composé de Denys Pradelle, Gaston Regairaz, Guy Rey-Millet et Alain Bardet. Sur les conseils de Denys Pradelle, Charlotte Perriand est associée au projet. L’équipe s’enrichit encore avec la participation du charpentier-menuisier Bernard Taillefer, des architectes Robert Rebutato et Alain Tavès, et enfin des conseils de Jean Prouvé.
Le site des Arcs est choisi en 1962, il occupe une position de balcon sur la vallée de l’Isère au-dessus de la ville de Bourg-Saint-Maurice. Les Arcs sont en réalité trois pôles, étagés en altitude, Arc 1600, Arc 1800 et Arc 2000. Ils communiquent par la route et par les pistes. Il s’agit pour une même station de trois moments, de trois postures, de trois architectures différentes dont l’évolution suit celle des conditions de conception et d’édification. Le principe fondateur est l’intégration de l’architecture au site afin de réduire l’impact sur le paysage.
Sur le site d’Arc 1600, le petit plateau de Pierre Blanche a été laissé libre pour la pratique du ski, et les constructions ont été audacieusement « accrochées » aux pentes. Sur le site de la station Arc 1800 aussi, le plateau bien que plus grand a été « sacralisé » avec la construction d’un golf : « Les immeubles sont disposés en peigne, perpendiculairement à la pente, laissant le plateau libre pour les pratiques sportives de ski en hiver et de golf en été »[2]. « Roger Godino voyait une station « intégrée », liant le sport à des activités culturelles, programme novateur pour lequel il fallait maitriser toutes les données du problème posé : architecture, équipement, gestion, commercialisation, entretien. »[3]. Charlotte Perriand saisit cette opportunité pour mettre en application quarante années de réflexions et recherches sur l’architecture et le loisir pour tous.
Dans un texte de 1982, elle écrit à propos des Arcs, cette « architecture privilégiant les programmes et la vie des occupants et de ceux qui y travaillent, elle procède du dedans au dehors et vice-versa, ménageant à chaque partie habitable, une relation avec l’environnement : la montagne – superbe –, même les faces nord sont face au Mont Blanc, lointain, étincelant. »[4].
[1] PERRIAND, Charlotte : « Constructions en montagne : pour une prise de conscience de nos responsabilités », Architecture d’Aujourd’hui, n°126, juin-juil. 1966, p.10
[2] J.-F. LYON-CAEN, « Charlotte Perriand, une architecte de montagne » dans Charlotte Perriand, Carnet de Montagne, p.24
[3] PERRIAND, Charlotte : Une vie de création, Editions Odile Jacob, Paris, 1998, p.
[4] Texte cité dans Charlotte Perriand, Carnet de Montagne, p.61
… la suite bientôt
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